Full text: Oeuvres posthumes et correspondances inédites

FRAGMENTS 
D’UN ARTICLE DE JOURNAL INACHEVÉ 
Le 11 février 1865, Jules Janin, un des trois correspondants 
parisiens de l'Indépendance belge, où il signait du pseudonyme 
d’Éraste, publia, dans le feuilleton de ce journal, un article 
intitulé Henri Heine et la jeunesse des poètes. Ce critique, dont 
la belle humeur fit la fortune, ne manqua pas une si belle occa 
sion de s’attaquer à l’ironie amère des lieds du grand poète alle 
mand, qu’il accusait de manquer de gaieté. Il partit de là pour 
s’en prendre à Byron lui-même. Aux douleurs chantées par les 
grands poètes étrangers il opposa « la charmante ivresse des 
vingt ans » si souvent chantée par notre poésie nationale. Accu 
mulant les citations, de Desportes à Béranger, il donna la joie 
pour génie lyrique, pour muse à la France. Et, emporté par sa 
thèse, sans souci de la vérité, il alla jusqu’à confondre dans les 
mêmes louanges les poètes contemporains du tempérament le 
plus contraire, citant pêle-mêle Victor Hugo, Alfred de Vigny, 
Alfred de Musset, Sainte-Beuve et M“ e de Girardin, M. Théodore 
de Banville et Viennct, Auguste Barbier, Hégésippe Moreau, 
Victor de Laprade, Lecomte Delille (sic) et Pierre Dupont. L’ar 
ticle se terminait par cette phrase sotte et cruelle sur Henri 
Heine : « II fut, en effet, la première victime de son intaris 
sable ironie, et comme s’il s’était imposé la tâche abominable 
de rire aujourd’hui, demain, toujours, il n’a pas connu, de son 
vivant, la douce volupté des larmes; il n’en a pas fait répandre 
sur son cercueil. » 
Ce feuilleton excita chez Baudelaire une véritable indigna 
tion. L’optimisme du critique heureux exaspéra le pessimisme 
de l’auteur des Fleurs damai, qui, se regardant comme le repré
	        
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