î 32 , ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
Sacrifices de corps qui fuft fous le Ciel,luy adiouftcrent -, qu’il auoit à facrificr aux Dieux
humains, cinquante mille hommes par an.De vray,ilsdifcnt qu’il nourriffoit la
cuerre auec certains grands peuples voifins, non feulement pour l’e
xercice de la ieunefTc du païs, mais principalcmét pour auoir dequoy
fournir à Tes facrificcs,par des prifonniers de guerre. Ailleurs, en
certain bourg, pour la bien-venue dudit Cortez, ils facrificrent cin
quante hommes tout à la fois. le diray encore ce compte : Aucuns de
ces peuples ayansefté battus parluy ,cnuoyerent le rccognoiftrc &c
rechercher d’amitié : les meffagers luy prcfcntcrcnt trois fortes de
prefens, en cette manière: Seigneur, voila cinq cfclaucs: fi tu es vn
Dieu fier, qui te pailles de chair & de fan g, mangc-lcs, & nous t’en
amènerons dauantage : h tu es vn Dieu débonnaire, voila de l’encens
& des plumes : h tu es homme, prens les oyféaux tk, les fruidts que
voicy.
‘Des Cannibales.
Chapitre XXX.
Barbares, quels.
Vand le Roy Pyrrhus palfa en Italie, apres quiî eut
rccognu l’ordonnance de l’armée que les Romains luy"
cnuoyoient audeuant: le ne fçay, dit-il, quels Barbares
font ccux-cy , car les Grecs appelaient ainfi toutes les
Nations cftrangcrcs, mais la difpofition de cette armée que ievoy,
n’eft aucunement barbare. Autant en dirent les Grecs de celle que
Flaminius fit paffer en leur pais : & Philippus voyant d’vn tertre l’or
dre & diftribution du camp Romain en fon Royaume, fous Publius
Sulpicius Galba. Voila comment il fe faut garder de s’attacher aux
opinions vulgaires, & les faut iuger parla voy c de la raifon,noripar
la voix commune. l’ay eu long-tcrpps auec moy vn homme qui auoit
demeuré dix ou douze ans encét autre mondc,quiaeftédcfcouuert
cnnoftrc ficclc,en l’endroit oùViicgaignon print terre,qu’il fur-
nomma la France Autarcique. Cette defcouuerte d’vn païs infiny,
femblc de grande confideration. le ncfçay fi ie me puis rcfptmdre,
qu’il ne s’en face à l’aduenir quclqu’aptrc, tant de perfonnages plus
grands que nousayans efté trompez en cette-cy. l’ay peur que nous
ayons les yeux plus grands que le ventre, & plus de curiofitc,quc
nous n’auons de capacité : Nous embralfons tout, mais nous n’e-
Eteignons que du vent. Platon introduit Solon racontant auoir
appris des Preftres de la ville de Sais en Ægyptc ; que iadis &auanc
f^mndeuf*’ & U Déluge, il y auoit vue grandeIflc nommée Atlantide, droit à la
y, g an em. Lpuchc du deftroit de Gibaltar,qui tenoit plus de pais que l’Afri
que & l’Afie toutes deux enfemblc : & que les Roys de cette contrcc-
là, qui ne polfedoient pas feulement cette Me, mais s’eftoicrxtcften-
dus
France ^intarti
que.