Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

L I V*R E 5 E C O N D. 47; 
<rer,ie ne longe pas tant comment i’en efchappcray,quc combien 
peuil importe que i’en efehappe : Quand l’y demeurerois, que feroit-. 
ce? Ne pouuant rcgler les euenemens,ic me réglé moy-mefme: & 
m’applique à eux,s’ils ne s’appliquent à moy. le n’ay guère d’art pour 
fçauoir gauchir la fortune, & luy cfchapper,ou la forcer; & pour 
dreffer 6c conduire par prudence les chofes a mon poimft. l’ay enco 
re moins de tolérance,pour fupportcrle foin afpre &c pénible qu’il 
faut a cela. Etlapluspeniblc aftiette pour moy, c’eftcftrcfufpensés 
chofes qui preffent, 6c agité entre la crainte & l’efperancc. Le déli 
bérer, voire es chofes plus legeres, m’importune. Et fens mon efprit 
plusempefehéà foufFrir le branle, & les fecoulTes diuerfes du doute, 
& de la confultation, qu’à fe raffeoir & refoudre à quelque party que 
ce foie, apres que la chance eft liuréc. Peu de pallions m’ont troublé 
Icfommcil, mais des deliberations ,1a moindre me le trouble. Tout 
ainfl que des chemins, i’en cuite volontiers les collez pendans & glif- 
fans, & me iette dans le battu, le plus boücux & enfondrant,d’oùie 
ne puilîe aller plus bas, &c y cherche feureté: Aulîi i’ayme les mal 
heurs tous purs, qui ne m’exercent &c traça dent plus, apres l’incer 
titude de leur rabillagc: & qui du premier faut me pouflentdroite- 
ment en la fouffrancc. 
dulna plus torojuent mala. 
Aux euenemens, ie Uie porte virilement, en la conduite puérilement. 
L’horreur de la cheute me donne plus de fiebure que le coup. Le ieu 
ne vaut pas la chandelle. L’auaricieux a plus mauuais compte de fa 
paffion,qucn’ale pauure: &leialoux, que le cocu. Et y a moins de 
malfouuent, à perdre fa vigne, qu’à la plaider. La plus balfe marche, 
eft la plus ferme : c’eft le fiege de la conftance : Vous n’y aucz bcloin 
que de vous: Elle fc fonde là, Sc appuyé toute en foy. Céc exemple, 
d’vn Gentil-homme que plufieurs ont cognu , a-il pas quelque air 
philofophique? Il fe maria bien auanten l’âge, ayant palfé en bon 
compagnon fa ieuneffe, grand difeur, grand gaudiffeur. Se fouue- 
nant combien la matière de cornardife luy auoit donne dequoy par 
ler & fe moquer des autres: pour fe mettre à couuert,ilefpoufavne 
femme, qu’il print au lieu où chacun en trouue pour fonargent, & 
drefta aucc elle fes alliances : Bon-iour putain, bon-iour cocu : & n’eft 
chofe dequoy plus fouuent &oüuertemcnt il entretin t chez luy les 
furuenans, que dece fiendeffein; par où il bridoit les occultes ca 
quets des moqueurs, & efmouffoit la pointe de ce reproche. Qmmt 
à l’ambition ,qui eft voiftnede la prefomption,ou fille pluftoft,il 
euft fallu pour m’aduanccr, que la fortune me fuft venu quérir par le 
poing: carde me mettre en peine pourvue efperahceincertaine,& 
me foubmettre à toutes les diffi offrez, qui accompagnent ceux qui 
cherchent à fe pouffer en crédit, fur le commencement de leur pro- 
grez j ie ne l’euffe feeu faire, 
•——fpem pretio non emo. 
Rr iiij 
Deliberations im» 
fortunes. 
Similitude. 
Le ma! douteux nous 
gehemie plus. Sente. 
Agam. a cl.s. 
La crainte d'~Vne 
cheute , plus infup- 
portable que le coup. 
Confiance marche 
la plus ferme. 
Cornardife recher 
chée publiquement, 
pour brider les occul 
tes caquets des mo 
queurs. 
Ambition fille de 
la préemption. 
A prix eflentîel tu cf- 
poir ie n’achtpte. Te- 
rira, Adelph. né. z.
	        
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