Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE SECOND. 477 
fendent villes en nos guerres prefentes. Vn Prince eftouffe fa recom 
mendation emmy cette prefie. Qu/il rcluife d’humanité,de vérité,de 
loyauté, de tempérance, & fur tout de iuilice : marques rares, incon 
nues & exilées : C’eft la feule volonté des peuples dequoy il peut faire 
fes affaires: &nulles autresqualitez ne peuuentattirer leurvolonté 
comme celles-là , leur eftans les plus vtiles. Nibil eft tampopulare audm 
honitds. Par cette proportion ie me fuffetrouué grand & rare; Com 
me iemetrouue pygmée & populaire, à la proportion d’aucuns fic 
elés paffez ; Aufqucls il eftoit vulgaire, fi d’autres plus fortes qualitez 
n’y concurroient , de voir vn homme modéré en fes vengeances, 
mol au reffentiment des offenfes, religieux en l’obferuance de fa pa 
role : ny double ny fouple,ny accommodant fa foy à la volonté d’au- 
truy&auxoccafions: Pluftoft lairrois-ie rompre le col aux affaires,, 
que de plier ma foy pour leur feruice. Car quant à cette nouuelle 
vertu de feintife & diffimulation, qui eft à cett’ heure fi fort en cré 
dit, ie la hay capitalement: ôc de tous les vices, ie n’en trouuc aucun 
qui tefmoigne tant de lafeheté &baffeffe de cœur. C’eft vue humeur 
coüarde& feruile de s’aller de fguifer&cacher fous vn mafqüc,&dc 
ivofer fc faire voir tel qu’on eft. Parla nos hommes fedreffent à la 
perfidie. Eftans duits à produire des paroles faufiles, ils ne font pas 
confidence d’y manquer. Vncœur généreux ne doit point defmen- 
tir fes penfées: il feveut faire voir iufques au dedans: toutyeftbon, 
ou au moins, tout y eft humain. Ariftote cftime office de magnani 
mité , haïr & ay mer a dcfcouucrt : iuger, parler auec toute franchife: 
&. au prix de la vérité, ne faire cas de l’approbation ou réprobation 
d’autruy. Apollonius difoit que c’eftoit aux ferfs de mentir, & aux 
libres de dire vérité. C’eft la première & fondamentale partie de la 
vertu: Il la faut aymerpour elle-mefme. Çeluy qui dit vray, parce 
qu’il y eft d’ailleurs obligé, & parce qu’il fert : & qui ne craint point à 
dire menfongé, quand il n’importe à perfonne, il n’eft pas véritable 
fuffifamment. Mon ame de fa complexion refiut la menterie, & haït 
incline a la penfer. l’ay vnc interne vergongne & vn remors piquant, 
fi par fois elle m’cfchappc, comme parfois elle m’efehappe jlesoc- 
cafions me furprenans & agitans impremeditément. Il ne faut pas 
toufiours dire tout, car ce feroit fortifie : Mais ce qu’on dit,il faut qu’ii 
foit tel qu’on le penfe : autrement,c’eft mefchanceté. le ne fqay quel 
le commodité ils attendent, de fe feindre & contrefaire fans celle : fi 
cen’eft,de n’eneftrepas crcus,lorsmefmesqu’ilsdifentvérité. Cela 
peut tromper vne fois ou deux: les hommes: mais de faire profeffion 
de fe tenir couucrt : & fc vanter, comme on t fait aucuns de nos Prin 
ces, qu’ils iettcroientleur chemifeau feu, fi elle eftoit participante de 
leurs vrayes intentions, qui eft vn motde l’ancien Metellus Macé 
doniens : & publier, que qui ne fqait fe feindre, ne fqait pas régner: 
c eft tenir aduertis ceux qui ont à les pratiquer, que ce n’eft que pipe- 
rie de menfonge qu’ils dif ent. Quo epuis njerfittier & callidiorcftj hocinni- 
Qualité^ les pim 
Utiles à lui Prince. 
I! n’cfl rien fi chcry 
du peuple qu'vue béni 
gne bonté, Cic.proLi- 
g“r. 
Feintife & difti- 
mttlatio hdijjables, 
& pounjmy, 
Vérité', première 
partie dehertu^ay- 
mable pour elle- 
mefme, 
Menterie hlafmce. 
Intentions tenues 
fecrettes & couuer- 
tes par Metellus. 
Dont iiarriue, que Is 
plus fin Sc madré,toit 
Je plus fufpcft & liai, 
depuis qu'on en a ra 
battu l'opinion rk pro 
bité. De OJf. l.i:
	        
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