Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE, 
O mal-heureux hom 
me,des le iour que Pro- 
methee te forgea de 
terre, certes il gouuer- 
na cét ouurage, aucc 
peu de difcrction : car 
difpofant le corps à 
poinft, Ton art négli 
gea l’ame : il deuoit a- 
uant toutes chofes,ran- 
ger l'efprit en bon or 
dre. Sroç.-i, 
plaifant fonge qu il auoit longé : C’eft prifer fa vie iuftemét ce qu’elle 
cft, de l’abandonner pour vn fonge. Oyez pourtât noftre ame,triom 
pher de la mifcr’edu corps,de fa foibleffe,decequ’ileftenbutteà 
toutes offences de alterations ; vray ement elle a raifon d’en parler. 
O prima infœlix fin venu terra Prometheo ! 
Ille parum cauti pe clans egit opus. 
Corpora difyonens, mentem non vidit in artc t 
Pc fl a ariimi prïmum dehuit ejje via. 
Sur des vers de Virgile. 
Chapitre V. 
M esvre que les penfemens vtilcs font plus pleins, 
de folides, ils font auffi plus empefehans, &plusoné 
reux. Le vice, la mort, la pauureté, les maladies, font 
fujets graues,& quigreuenr. Il faut aiioirl’amçin- 
ftruite des moyens de fouftenir de combatte les maux, 
& inftruitc des réglés de bien viure, de de bien croire ; de fouuent l’ef- 
ueiller& exercer en cette belle eftude. Mais à vneame de commune 
forte,il faut que ce foit aucc relafche Se modération : elle s’affolle, d’e- 
tretrop continuellement bandée, l’auoy befoin enieuneffie,dem’ad- 
uertir& folliciter pour me tenir en office ; L allcgrcffie & la faute ne 
conuicnnent pas tant bien, dit-on, auec ces difeours ferieux & fagesr* 
le fuis à prefent en vn autre cftat. Les conditions de la vieillelfe, ne 
m’aducrtilfcnt que trop, m’affiagiffent &meprefchcnt. Del’excezde 
lagayeté,ie fuis tombé en celuydelafeucritérplusfafcheux. Par- 
quoy,ie me laiffieàcette heure aller vn peu à ladefbauche,pardcf- 
fein: & employé quelquefois Paine à des penfées folaftres tiennes, 
où elle fe fejourne : le ne fuis déformais que trop raffis, trop poifant, 
& tropmeur. Les ans me fontlcçon tous les iours, de froideur, de de 
tempérance. Ce corps fuit ledefreglement,&:le craint; il eft àfon 
tour de guider l’efprit vers la reformation : il regente à fon tour : 
de plus rudement de imperieufement : Il ne me laiffie pas vne heu 
re, ny dormant ny veillant, chaumcr d’inftruftion , de mort, de 
patience, Se de pcnitence. le me défends de la tempérance, comme 
i’ayfait autrefois de la volupté relie me tire trop arriéré. Se mfques à 
iaftupidité.Orievcuxcilrcmaiftredemoy,àtoiitfens. La fageffiea 
fes exccz, Se n’a pas moins befoin de modération que la folie. Amfi, 
de peurqucienefeichc,rariffe,&m’agraucdc prudence,aux inter- 
uales que mes maux me donnent, 
Qps l’ame incdTam- zJdPens intenta fuis ne fiet vfque malts. 
k bande! aïiSSJfi™ ic gauchis tout doucement, de defrobe ma veuc de ce Ciel orageux de 
nubileux que i’ay deuant moy. Lequci,Dicu mercy,ie confidere bien
	        
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