Full text: Essais de psychologie contemporaine (2)

EDMOND ET JULES DE GONCOURT 141 
étranger à la littérature, et d’où ils ont tiré pour 
tant une portion du métal dont est faite leur gloire 
littéraire. La vertu spéciale de leur esthétique dé 
rive ainsi de facultés primitivement acquises et dé 
veloppées dans une fin très opposée à cette esthé 
tique, — tant il est vrai que nous sommes étran 
gement obscurs à nous-mêmes, et que notre vraie 
personne s’agite, s’ingénie, s’accroît, dépérit en nous 
à notre insu. 
Les frères de Goncourt, eux non plus, ne furent 
pas des hommes de lettres de la première heure. 
L’ambition de leur début les dirigeait vers un autre 
pôle. En 1849, ils partaient, le sac au dos, pour 
faire à pied un tour de France. Ils voulaient en 
rapporter une suite de dessins et d’aquarelles. Les 
notes de leur carnet de voyage, qui devaient rela 
ter seulement les menus des repas et le nombre des 
kilomètres, se changèrent bientôt en impressions 
écrites. «Au fond,» dit quelque part M. Edmond 
de Goncourt, «c’est ce carnet de voyage qui nous 
a enlevés à la peinture et a fait de nous des hommes 
de lettres.» Ailleurs, dans la préface de leur 
Théâtre, il décrit ainsi leur intérieur commun : 
«Sur une grande table à modèle, aux deux bouts 
de laquelle, du matin à la tombée du jour, mon 
frère et moi faisions de l’aquarelle dams un obscur 
entresol de la rue Saint-Georges, un soir de l’au 
tomne de 1850, en ces heures où la lumière de la 
lampe met fin aux lavis de couleur, poussés par je 
ne sais quelle inspiration, nous nous mettions à 
écrire ensemble un vaudeville, avec un pinceau
	        
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