Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

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LIVRE PREMIER. % 
rëment lés ingénieux, auec leur mefdifance. La mefiilc peine quoi! 
prend à détrader de ces grands noms, & la nléfrfie licence, ie la pren- 
drôis volontiers à leur prellcr quelque tour d’cfpaule pour les hauf~ 
fef. Ces rares figures, & triées pou r l’exemple du monde, par le con- 
féntement des Pages * ieneniefeindrois pas de les recharger d'hon 
neur, autant que mon initentionpOurroit, en interprétation & fa- 
uûrabie cif confiance. Et il faut croire que les efforts de noftre inueii- 
tion font loin au defibus de leur mérité. C’dl l'office des gens de 
bien, de peindre la vertu lapins Belle qui (epuifici Et ncmelîîeroit 
pas, quand la paillon nous tranfporteroit à la fautait de fi faindes for 
mes. Ce que ceux-cy font au contraire, ils le font ou par malice, ou 
par ce vice de ramener leur creance à leur portée, dequoy ie viens de 
parler; ou comme iepenlepiuftoft.pourn’auoir pas laveuë allez fier 
té & allez nette, ny drefiee à conceuoir la fplèndeur de la vertu en fa 
pureté naïfiiè : Comme Plutarque dit, que de fon temps, aucuns at- 
tnbuoientlacaufe delà mort du ieune Caton, a la crainte qu’il auoic Mort du jeune ca- 
euë de Cefar ; dequoy ilfc pique auec raifon: Et peut-on iuger par ton, &laca»fed’i- 
là, combicnilfe fuft encore plus offenfé de ceux qui l’ont attribuée à ce ^ e ° 
l'ambition. Sottes geris. Il euft bienfait vue Belle adiorigenereufe & 
iufte,pluftolf auec ignominie que pour la gloire. Ce perfonnage là 
fut véritablement vn patron que nature choifit, pour itipnllrcr iuf~ 
ques où l'humaine ver tu &: ferme té pouuoit arteindrérMais rêne fuis 
pasicy àmefmespourtraiderce riche argument: le veux feulement Cdtm > patron, 
faire luiterenfemble les traids de cinq Poëtes Latins, fur la louange f 
de Caton, & pour 1 inrererfe de Caton : «Se par incident pour le leur 
aulfi. Ordeura l’enfant bien nourry^troiiuer au prix des autres, les 
deux premiers trainans. Lctroifiefme,plus verd; niais qui s’eft ab- 
bàtu par i’extrauagance de fa force. Il eifimeraquelàily àuroix place 
à vn ou deux degrez d’irmérïtrion encore, pour arriiier au quatriefnie, 
fur le poind duquel il ioindra fes mains par admiration. Au d ernier, 
premier de quelque cfpace : mais laquelle efpace il iurera ne pouuoir 
dire remplie par nul efpïit humain, ils’eftonnera, il fe tranfira. Voi- Poètes,en ptygrdflÜ 
cymerueiiles.Nousauonsbienplus’dePoëtes que de iugcs&iiiter- nombre, gue les m~ 
prêtes de Poëfie. Ii ell plus aifé de la faire, que delà cognoiftre. A cer- tcy d rctc '' dc P oc f ie * 
taine inclure baffe, on la peut iuger par les préceptes & par art. Mais p 0 efie,ffpremefü- 
la bonne, la fuprême, la diuine, ell au deflus des réglés & de la raifon. rem des Poètes• 
Quiconque en difcerné la beauté, dVne veuë fermé & ralfife, il nëfa 
void pas, non plus que la fplendeur d’vn efclair. Elle né pratique 
point nollre iugemënt : elle le rauit drauage. La fureur, qui cfpoin- 
çonne celuy qui la 1 çaiîpénétrer, fiert encore vn tiers à la luy ouyr Similitude, 
traitter & reciter. Comme l’aymant attire non feulement vue aiguii- ^Aymant, & fa 
le, mais infond encores en elle fa faculté d’en attirer d’autres : & il Ce * y,<rrfw * 
void plus clairement aux théâtres,que l’infpiration fatrée dés Mufes, 
ayant premièrement agité lePoëteàlacholere, au deüil, à la hay- 
ne, & nors de foy, où elles veulent ; frappe encore par le Poché , Pâ’-
	        
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