Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE PREMIER.’ ïti 
£tion & volonté délicate, & qui rie s’affcruit & ne s’employa pas ay- 
fément,defquels le fuis, &par naturelle condition & par difeours j 
ils fe plieront mieux à ce confeil, que les âmes a&iues tk occupées, qui 
embralTent tout, & s’engagent par tout, qui fe paffionnent de toutes 
chofes, qui s’offrent, qui fe prefentent, & qui fe donnent à toutes oc- 
caEons. Il fe faut fcruir de ces commoditez accidentales ôe hors de 
nous, entant qu’elles nous (ont piaffantes ; mais fans en faire noftrc 
principal fondement: Ce ne l’eft pas ,ny laraifon, ny lanaturene le 
veulent: Pourquoy contre Tes loixafleruiros-nous noftre contente 
ment à la puiffance d’autruy ? D’anticiper aulli lesaccidens de fortu 
ne, fepriucr des commoditez qui nous font en main, comme plu- 
iîeurs ont fait par deuotion, & quelques Philofophes par difeours, fe 
feruir foy-meimes, coucher fur la dure, fecreuer les yeux, ictterfes 
richeffes emmy la nuiere, rechercher la douleur j ceux-là, pour par le 
tourment de cette vie, en acquérir la béatitude d’vne autre j ceux-cy, 
pour s’eftans logez en la plus baffe marche, fe mettre en feùrctéde 
nouuelkchcutc, c’eft fadtion d’vne vertu excelhue. Les natures plus 
roides & plus for tes faccnt leur cachette mefme,glorieufe & exem« 
plaire. 
tu ta & parmla laudo, 
/ Cum m deficiunt 3 fatis inter 'uilia fortis: 
Jferum njhi cjuid melius confinait & “vnétius , idem 
Hos faperc, (Sf foies aio benè 'viuere , quorum 
Confpiatur nitidis fundatapétunia 'viliis, 
Il y a pour moy affez à faire fans aller fi aUanc. Il mefuffitfousla 
faneur de la fortune, de me préparer à fa défaucur \&c me reprefenter 
eftant à mon aife, le mal à venir, autant que l’imagination y peut at 
teindre: tout ainh que nous nous accouifumons aux iouftes & tour 
nois, & contrefaifons la guerre en pleine paix. len’eftime point Ar- 
cefüaus le Philofophc moins reformé, pour fçauoirqu’ilvfoitd’v- 
tenhlcs d’or & d’argent, félon que la condition de fa fortuneleluy 
f >ermettoit : & l’eftime mieux, de ce qu’il en vfoitmodérémentôc 
iberalemenc, que s’il s’en fuit démis. le voy iufques à quels limites va 
la neceffité naturelle : ôc confiderant lepauurc mendiantàma por 
te, fouuent plus cnioüé & plus fain que moy, ic me plante en fa place: 
i’effaye de chauffer mon ame à fon biais. Et courant ainh par les au 
tres exemples, quoy que ic penfe lamort,lapauureté, le melons, & 
la maladie à mes talonsjie me refous aifément de n’entrer en effroy,de 
ce qu’vn moindre que moy prend auec telle patience: Et ne veux croi 
re que la baffeffede l’entendement piaffe plus que la vigueur, ou que 
les effedts du difeours ,ne puiffent arriuer aux effedts de i’accou- 
ffumancc. Et cognoiffapt combien ces commoditez acceffoires 
tiennent à peu , te ne laiffe pas en pleine iouyffancc , de fuppiicr 
Dieu pour ma fouueraine requelle , qu’il me rende content dé 
moy-mefme, &c des biens qui naiflent demoy. le voy deieunes hoir*- 
O iij 
^fmes aBtuci & 
occtifées. 
Siens de fortmt 
mcjpnje^ 
l’aymcde petits bien*, 
mais afl'curcz : & s'ils 
venoient a manquer , ie 
Yiuiois confiant en la 
pauurcté: toutesiois s’il 
m attittc ic ne fcay quoy 
de plus gras & plantu 
reux ; ie dis, que cctuy- 
là tout fcul, cfl &gc <5c 
bien inllruiâ à viure, 
qui triomphant de la 
nchcllc l’eftalc & I* 
fonde en belles maifons 
de plaifance, Horat.L11. 
kfiji. 
Vtenfiles d’or & 
d’aro-ent d'^drecfi 
lant. 
Ne cep te' naturelle 
& jes limites.
	        
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