Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE PREMIER. «« 
tn Ton foyer, & fçait conduire fa maifon fans querelle, & fans pro 
cès il eft auffi libre que le Duc de Venife. Paucos firuim y plures jerui- 
memtenent. Mais fur tout Hieron fait cas, dequoy il fc void priuc de 
conte amitié &focieté mutuelle: en laquelle confifte le plus parfait 
&doux fruiddc la vie humaine. Car quel tcfmoignage d’aftcdion 
&de bonne volonté, puis-ie tirer de celuy qui me doit, vueillc-il ou 
non,tout ce qu’il peut? Puis-ie faire cftat de fon humble parler & 
courtoifereueréce,veu qu’il n’eft pas enluy de me les refufer? L’hon 
neur que nous recelions de ceux qui nous craignent, ce n’eft pas hon 
neur : ces refpeéts fc doiuent à la Royauté, non à moy. 
« -,maximum hoc repni honum ejl y 
Quodjafla domini cojiturpopulus fui 
Quant j'erre, tam laudare. 
Vois-ie pas que le mefehant, le bon Roy, celuy qu’on haït, celuy 
qu’on ayme,autant enal’vnque l’autre: de melmes apparences,de 
mefme ceremonie, cftoit feruy mon predeceifeur, éc le fera mon 
fucceifeur: Si mes fubjets ne m’offencent,ce n’eft pas vn tefmoi- 
gnage d’aucune bonne affection : pourquoy leprendray-ie en cette 
part-là, puisqu’ils ne pourroient quand ils voudroient? Nul ne me 
fuit pour l’amitié, quifoit entreluy & moy :car il ne fefçauroit cou 
dre d’ami tié,où il y a fi peu de relation ôc de correfpondance.Ma hau-^ 
teur m’a mis hors du commerce des hommes : il y a trop de difparitc 
& de difpropoiftion : Ils me 1 uiuent par contenance & par couftume, 
ou pluftoft que moy ma fortune, pour en accroiftre la leur : T ont ce 
qu’ils me difent, & font, ce n eft que fard, leur liberté eftant.bridée 
de toutes parts par la grande puiffance que i’ay fur eux : ie ne voy rien 
autour de moy que couuert &: mafqué. Ses courtifans loiioient vn 
iour Iulian l’Empereur défaire bonneiuftice:Ie m’cnorgueillirois 
volontiers, dit-il, de ces loüanges, fi elles venoient de perfonnes, qui 
ofaftènt accufer ou mefloüer mes actions contraires, quand elles y 
feroient. Toutes les vrayes commoditez qu’ont les Princes, leur font 
communes auec les hommes de moyenne fortune : C’eft à faire aux 
Dieux, de monter des cheuaux aillez,&fe paiftre d’ambrofie : mais 
eux ils n’ont point d’autre fommeil & d’autre appétit que le noftre: 
leur acier n’eft pas de meilleure trempe, que celuy dequoy nous nous 
armons : leur Couronne ne les couure ny du Soleil, ny de la pluye. 
Dioclctian qui en portoit vne fi reucrée & fi fortunée , la refigna 
pour fc retirer auplaifird’vnevicpriuée: & quelque temps apres, la 
neceiütédes affaires publiques, requérant qu’il reuinten prendre la 
charge, il refpondit à ceux qui l’en prioient : Vous n’entreprendriez 
pas de me perfuader cela, fi vous auiez veu le bel ordre des arbres, 
que i’ay moy-mefme plantez chez moy, & les beaux melons que i’y 
ayfemez. A i’aduis d’Anacharfis le plus heureux eftatd’vnepolice, 
icroit ou toutes autres chofcs eftans cfgales, lapreccdence fe mefure- 
roit a la vertu,& le rebut au vice. Quand le Roy Pyrrhus entreprenoit 
la feruitude s’emparé 
de peu de gens : plu 
sieurs s'emparent d el- 
Roys priue^de tou 
te amitié & focieté 
mutuelle. 
Refyetts deits À l<t 
Royauté, non aux 
Roys. 
C eft vn grand bien, 
en la Monarchie, que 
les Peuples font forcez 
de fouffrir & louer en- 
fcmblc les aûions de 
leur maiftre. sm.Thye, 
ait. 2, 
Commodité^ des 
Princes communes 
aux hommes de 
moyenne fortune. 
Dioclctian retiré 
au plaiftr d’hne hie 
prtuée. 
Ejlat le plus heu 
reux d’hne police. 
Ambition haine de 
Pyrrhus*
	        
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