Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE SECOND. 467 
coreplus comme importune. Fefîàye à la corriger : mais l’arracher ie 
ne puis. C’eft, que ie diminue du iufte prix des chofcs,que ie poffede: 
chauffe le prix aux chofes, damant quelles font eftrangeres, abfen- 
tes,& non miennes. Cette humeur s’efpand bien loin. Comme la 
prerogatiucde l’authorité fait, que les maris regardent les femmes 
propres d’vn vicieux defdain,& plufieurs peres leurs enfans: Ainfi 
fay-ie : & entre deux pareils ouurages, poiferoy toufiours contre le 
mien. N on tant que la ialoufie de mon auancement ôc amendement 
trouble mon iugement, & m’empefehe de me fatisfairc,comme que, 
d’elle-mcfme la maiftrife engendre mefpris de ce qu’on tient & re- Maiflrîfe &pré 
sente. Les polices, les mœurs loingtaines me datent, & les langues: rogame d’authorité. 
Et m’appcrqoy que le Latin me pippe parlafaueurdc fa dignité, au acCo p a ^ce de mef- 
delà de ce qui luy appartient, comme il fait les enfans & le vulgaire. 
L’ceconomie, la maifon ,le chenal de mon voifin, en cigale valeur, 
vaut mieux que le mien, de ce qu’il n’elf pas mien. Dauantagc, que ie 
fuis tres-ignorant en mon faiéf: l’admire l’afleurance &promcffe, 
queçhacun a de foy : au lieu qu’il n’eft quafi rien que ie croye fçauoir, 
uyque i’ofe me refpondrc pouuoir faire. le n’ay point mes moyens 
en propofition & par £ftat ; & n’en fuis inftruit qu’apres l’effet : Au 
tant douteux de mafoîxe qued’vnc autre force. D’oùiladuient, fi ie 
rencontre loüablementenvne befongne, que ie le donne plus à ma 
fortune,qu’à mon induftric: dautantquc ie les deffeigne toutes au 
hazard & en crainte. Pareillement i’ay en general cecy, que de toutes 
les opinions que l’ancienneté a eues de l’homme en gros, celles que 
i’embraffe plus volontiers, & aufquelles ie m’attache le plus, ce font 
celles qui nous mefprifcnt,auilifTent, & aneantiffentlc plus. La Phi- 
lofophie ne me femble iamais auoir fi beau icu, que quand elle com 
bat noftre prefomption & vanité : quand elle recognoiff de bonne Préemption 
foy fon irrefolution, fa foibleffe, & Ion i gnorance. Il me femble que "vanité 3 mumce de t 
la mere nourrice des plus fauffes opinions, & publiques &particu- f dH Jf es °f in > ons ‘ 
lieres, c’eft la trop bonne opinion que l’homme a de foy. Ces gens 
qui fe perchent à cheuauchons fur l’epicycle de Mercure, qui voient 
f auant dans le Ciel, ils m’arrachent les dents : Car en l’eftude que ie 
fay, duquel le fujet, c’eft l’homme \ trouuantvne fi extrême variété 
de iugemens,vn fi profond labyrinthe de difficultcz les vues furies 
autres, tant de diuerfité & incertitude,en l’efcole mefme de la fapien- 
ce: vous pouuezpenfer, puis que ces gens-là n’ont pûfe refoudre de 
la cognoiffancc d’eux-mefmes,&de leur propre condition, qui eft 
continuellement p refente à leurs yeux,qui eft dans eux-, puis qu’ils 
ne fc s auent comment branle ce qu’eux-mefmes font branler,ny com 
ment nous peindre & defehiffrer les refforts qu’ils tiennent & ma 
nient eux-mefmes, comment ie les croirois de la caufe du flux & re 
flux de lariuicre du Nil. La curiofité de cognoiftrc les chofes, a efté Cut , w ç lt ' j a cmm 
donnée aux hommes pour fléau, dit lafainéte Efcriture. Mais pour n0J jj ance des chofes, 
Perdra mon particulier, il eft bien difficile, cerne femble, qu’aucun fléau de l’homme.
	        
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