Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

468 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE, 
Poe fie recomman- 
de'e. 
Les Dieux, les hom 
mes , ny les théâtres à 
réciter,ne peuuêt fbuf- 
frir vu médiocre Poc- 
te. Hor.tn Art. 
Mais rien u'cft affai 
re comme vn mauuais 
Poète. Man. 12. 
Poéfe de Dionyfita 
le pere : & l’ejhme 
quen ft le peuple 
aux leux Olympi 
ques, 
autre s’eftime moins, voire qu’aucun autre m’effime moins, que ce 
que ie m’effime. le me tien de la commune forte, fauf en ce que ic 
m’en tiens ; coulpable des defcéfuofitcz plus baffes & populaires 
mais nondefaduoüées,non exeufées. Et ne me prifefeulement cjue 
de ce que ie fçay mon prix. S’il y a de la gloire, elle eff infufe en moy 
fuperficiellcment,parla trahifondema complcxion: & n’a point de 
corps qui comparoilfe à la veuë de mon iugement. l’en fuis arrofé, 
mais non pas teint. Car à la verité,quant aux effets de l’efprit,en quel 
que façon que cefoit,il n eff iamais party demoychofequimecon- 
tentaff : Et l’approbation d’autruy ne me paye pas, l’ay le iugement 
tendre & difficile, & notamment en mon endroit: le me fens floter 
& flefehirde foiblcffe ; le n’ay rien du mien, dequoy fatisfairc mon 
iugement: i’ay la veuë affez claire &: réglée, mais à l’ouurer elle fe 
trouble: comme l’effaye plus euidemment en la Poëfie. le l’ayme 
infiniment: le me cognois affez aux ouuragesd’autruy : maisiefay 
à la vérité l’enfant quand i’y veux mettre la main : ie ne me puisfouf- 
frir. Onpeut faire le fot par tout ailleurs, mais non enlaPoëfic. 
mediocnhas cfje Poè'tis 
Non dij, non hommes j, non concefferc columnœ. 
Pleuff àDieu que cette fentencc fc trouuaff au front des boutiques 
de tous nos Imprimeurs, pour en défendre l’entrée à tant deverfi- 
ficateurs. 
njerum 
Nil fccurms ejl malo Poeta. 
Que n’auons-nous de tels peuples ?Dionyfius le percn’effimoit rien 
tant de foy, que fa Poëfie. A la faifon des jeux Olympiques, auec des 
chariotsfurpaffant tous autres en magnificence,il enuoyaauffides 
Poëtes 5c des Muficicns,pour prefenter fes vers, auec des tentes & 
panifions dorez & tapiffez royalement. Quand on vint a mettre les 
vers enauant,la faueur& l’excellence de la prononciation attira fur 
le commencement l’attention du peuple. Mais quand par apres il 
vint à poifer l’ineptie de l’ouurage, il entra premièrement en mef- 
pris: & continuant d’aigrir fon iugement, il feietta tan toffenfurie, 
êc courut abattre 5c defehirer par defpit tous ces panifions. Et ce que 
ces chariots ne firent non plus, rien qui vaille en lacourfc,&:quela 
nauirc, qui remportoit fes gens, faillit la Sicile, & fut par la tempelfe 
pouffée tk fracaffée contre la cofte de Tarante 5 ce mefme peuple tint 
pour certain, que c’effoit vn effet de l’ire des Dieux irritez comme 
luy,contre ce mauuais Poëmc; 5c les mariniers mefmes,efehappez 
du naufrage,alloient fécondant cette opinion: à laquelle,l’oracle 
qui prédit famortjfembla auffi aucunement foubfcrire. Il porcoic, 
queDionyfius feroit prés de fa fin, quand il auroit vaincu ceux qui 
vaudroient mieux que luy. Ce qu’il interpréta des Carthaginois, qui 
le furpaffioient en puiffance. Et ayant affaire à eux, gauchiffoit fou- 
uent la vidtoire, 5c la temperoit, pour n’encourir le fens de cette pré 
diction.
	        
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