LIVRE SECOND. 4<5>
'diCtion. Mais il l’entcndoit mal : car le Dieu marquent le temps de
l’aduantage, que par faueur & imuftice il gaigna à Athènes fur les
Poètes tragiques, meilleurs que luy : ayant taicioüer àl’cnuylafien-
ne, intitulée les Lcneïens. Soudain après laquelle victoire,il trefpaffa:
&en partie pour l’exceffiue ioye qu’il en conceut. Ce que ietreuue
excufable du mien,ce n’eft pas de foy ,& àlaverité; mais c’eftàla
comparail'on d’autres chofès pires, aufquelles ie voy qu’on donne
crédit, le fuis enuieux du bon-heur de ceux qui Te fçauent refiouïr &c
gratifier en leur ouuragc ; car c’cft vn moyen aile de fc donner du
plaifir, puis qu’on le tire de loy-mefme : Spécialement s’il y a vn peu
de fermeté en leur opiniaftrife. le fçay vn Poe te, à qui fort & foible,
en foule & en chambre, & le Ciel & la terre, crient qu’il n’y en tend
guere. Il n’en rabat pour tout cela rien delà mefure à quoy il s’eft tail
lé. Toufiours recommence, toufioursreconfulte : &couhoursperfi-
fte, d’autant plus ahurté en fon aduis, qu’il touche a luy fcul, de le
maintenir. Mes ouuragcs, il s’en faut tant qu’ils merient, qu’autant
de fois que ie les recafte, autant de fois ie m’en defpite.
Cum relego ,fripfffe pudet 3 quia plurima cernoj
* Me quoque qutfeci, indicé, ddigna > lini.
l’ay toufîours vue idée en l’ame, qui meprelcntc vne meilleure for
me,que celle que i’ay mife en befongne, mais ie ne la puis faifir ny ex
ploiter. Et cette idée mcfme n’eft que du moyen eftage. l’argumente
par là,que les productions de ces riches & grandes âmes du temps paf-
fé, font bien loin au delà de l’extrême eftcnduë de mon imagina
tion & fouhait, Leurs Efcrits ne me fatisfont pas feulement &mc
rempliftent, mais ils m’eftonnent & tranhflent d’admiration. le iuge
leur beauté, ie la voy ,fmon iufquesau bout, au moins fi auant qu’il
m’eft ïmpoftible d’y afpirer. Quoy que i’entreprenne, ie dois vn fa-
crifice aux Grâces, comme dit Plutarque de quelqu’vn,poiu' prati
quer leur faueur.
f quid enim place
'Si quid dulce honnnurn fenfhus influât^
Dchentur lepidis omnia Gratiis.
Elles m’abandonnent par tout : Tout eft greffier chez moy, il y a
faute de poliffurc &de beauté: le ne fçay faire valoir les chofes pour
le plus,que ce quelles valent ; Ma façon n’ay de rien à la matière. Voi
la pourquoy il me la faut forte, qui aye beaucoup deprife^ & quiluife
d’elle-mefme. Quand i’enfaift des populaires &plus gayes,c’eft pour
me fuiure,moy,quinaymc point vne fagelfe cercmonieufc&trl-
fte, comme fait le monde: & pour m’égayer, non pour égayer mon
ftile,qui les veut pluftoft graucs & feueres; Au moins ie doy nommer
fille, vn parler informe & fans réglé : Vn iargon populaire, ôc vn pro
céder fans définition, fans partition, fans conclufton, trouble, à la
façon de celuy d’Amafanius&dcRabirius. le ne fçay ny plaire, ny
refiouïr, ny chatouiller : Le meilleur conte du monde fe fcchc entre
Rr
Poètes tragicjueSj
fur monter de Dio-
nyfiui par faueur.
Poètes presoptueux
de leurs ouurao-es
O
pour la plujpart,
Poèfie de Montai
gne quelle félon fon
tuo-ement.
ù
Quand ic relis mes
papiers, i’ay honte d’a-
uoir eferit ; apperce-
uant plulîcnrs chofes,
que moy-mefroc leur
Authcur condamne à
la rature. Onid.de Sonto
l.i.
Efcritst des riches
& grands Poetes du
temps paféj quels.
Si ie ne fcay quoy du
mien agrée , & s’il in
flue quelque douceur
eux feus des hommes,
il en faut déférer tout
l’honneur aux géütil-
' les Grâces,
Stile de Montaigne.