Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

47 o ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE, 
mes mains, 6c fe ternit. le ne fçay parler qu en bon efeient. Et fuis du 
tout definie de cette facilité, que icvoy en plaideurs de mes compa- 
Contes & di[cours gnons, d’entretenir les premiers venus, 6c tenir en haleine toute vue 
plat [ans, agréables troupe, ou amuicr fans fe lafler, l’oreille d’vn Prince, de toute forte 
aux Princes. J e propos : la matière ne leur faillant ïamais, pour cette graeequ’ils 
ont de fçauoir employer la première venue, & l’accommoder à l’hu 
meur 6c portée de ceux à qui ils ont affaire. Les Princes nayment 
guère les difeours fermes, ny moy à faire des contes. Les raifons pre 
mières 6c plus aifées, qui font communément les mieux prinfes, ie ne 
fçay pas les employer. Mauuais prefeheur de commune. De toute 
matière ie dy volontiers les plus extrêmes chofes,que i’en fçay. Cice- 
ro eftime, qu’es traitez de la PhiIofophic,lc plus difficile membre foit 
l’exorde : S’ilcft ainfi,iemcprcnsàlaconclulionfageraent. Si faut- 
il fçauoir relafcher la corde à toute lorte de tons : 6c le plus aigu eft 
celuy qui vient le moins iouuent en ieu. Il y a pour le moins autant 
de perfection à releuervne chofe vuidc,qu’à en louftenir vue poi- 
fante. Tantoft il faut fuperficicllcment manier les choles,'tantoft les 
profonder. le fçay bien que laplulpart des hommes le tiennent ence 
bas eft âge, pour ne conceuoir les chofes que parcette première ef- 
corfe : Mais ie fçay auffi que les plus grands maiftres, 6c Xenophon& 
Platon, on lesvoid Iouuent le relafcher a cette balle façon, «^popu 
laire , de dire 6c traiter les chofes, la fouftenans des grâces qui ne leur 
j xr.o-ave de l'ylu- manquent iamais. Au demeurant mon langage n’a rien de facile & 
rhtur.* fluide: il eft afpre,ayant lescftlpolitions libres’&defregléçs: Etme 
plaift âinli j linon par mon iugement, au moins par mon inclina 
tion. Mais ie fens bien que parfois ie m’ylaiffe trop aller,& qu’à 
force de vouloir éuiter Part 6c l’affed:ation,i’y retombe d’vne autre 
part: 
E: ic me fais obfcur -hrCUlS cffe UborO } 
me voulant rendre . - „ 
brkf. nor. m Art. ObjCUmS JIO. 
Platon dit, que le long ou le court, ne font pasproprietezquioftent 
ny qui donnent prix au langage. Quand fentreprendroisde luiurc 
cét autre ftyle equablc,vny 6c ordonnéfte n’y fçaurois aduenir: Et en- 
Parlcr de Salujle corc que les coupures 6c cadences dcSalufte rcuiennent plus à mon 
& de Cejar. humeur, h cft-ce que ie trcuue Ccfar 6c plus grand, 6c moins aifé à rc- 
prefenter. Et limon inclination me porte plus à l’imitation du par 
ler de Scneque, ie nelaiffe pasd’eftimer dauantage celuy de Plutar 
que. Comme à taire, à dire àùfli, ie fuy tout limplement ma forme 
naturelle: D’où c’eft à l’aduanturc que icpuis plus, à parler qu’a el- 
Brihil anime par cnre : Le mouuement 6c aCtion animent les paroles,notamment a 
les- mtmemem des ccux -qui le remuent brulquement,comme ie fay,6c qui s’efehauffent. 
ur ^' Le port, le vifage, la voix, la robe, l’aftiette, peuuent donner quelque 
prix aux chofes, qui d’elles-melmes n’en ont guere, comme le babil. 
Meffaia fe plaint cnTacitusde quelques accouftremens cftroits de 
ion temps, 6c delà façon des bancs où les Orateurs auoient à parler.
	        
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