47 8 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE.
for ft)fufe&îor, detrafla opinione prohitatis. Ce (croit vne grande fini-
pleffe à qui fe lairroit arqaffer ny au vifage, ny aux paroles de ccluy,
qui fait cftat d’eftre toufiours autre au dehors, qu’il n’eft au dedans:
Tthere autre au de- comme faifoit Tibere. Et ne Iqay quelle part telles gens peuuenc
hors qu'au dedans, auoir au commerce des hommes, ne produifans rien qui (oit rcceu
pour comptant. Qui cft défi oy al enuers la vérité, l’eft aulfi entiers le
menfonge. Ceux qui de noflre temps ont confideréenl’eftabliffe-
ment du deuoir d’vn Prince, le bien de Tes affaires feulement : & l’ont
référé au foin de fa foy & confidence; diroient quelque chofe à vn
Prince, de qui la Fortune auroit rengé à tel poinét les affaires, que
pour toutiamais illespûft eftablirparvnfeul manquement & faute
à fa parole. Mais il n’en va pas ainfi. On rechct fouucnt en pareil mar
ché: on fait plus d’vne paix, plus d’vn traitté en fa vie. Le gain, qui
les conuie à la première defloyauté, 6c quafi toujours il s’en prefente,
De/loyauté dont ma- comme à toutes autres mefchancetcz ; les facnleges, les meurtres, les
viable À Prince, rebellions, ks crahifons, s’entreprennent pour quelque efpece de
fruiét: Mais ce premier gain apporte infinis dommages fuiuans : iet-
tant ce Prince hors de tout commerce, &; de tout moyen de nego-
Ottomantinfdel- ciation,par l’exempledccettcinfidélité. SolymandelaracedesOt-
les. romans, race peu (oigneufe de l’obferuation des promeffes 6c pa-
ches, lors que de mon enfance il fitdcfcendre fon armée à O trante;
ayant feeu que Mercurin de Gratinarc, 6c les habitans de Caftro,
cftoient détenus prifonnîcrs, apres auoir rendu la place, contre ce qui
auoitefté capitulé parfes gens auec eux, manda qu’on les relafichaft:
6c qu’ayant en main d’autres grandes entrcpnfes en cette contréc-là,
cette defloyauté,quoy quelle eufl:apparence d’vtilité prefente,luy
apporteroit pour l’aduenir, vn defery 6c vne défiance d’infiny préju
dice. Ordemoy i’ayme mieux cftrc importun & indiferet, que fia-,
teur 6c diffimulc. l’aduouë qu’il fe peut méfier quelque poinétede
fierté, & d’opiniaftreté, a fe tenir ainfi entier & ouuert comme le
fuis fansconfiderationd’autruy. Etmefemblc que ledcuiensvnpeu
Liberté'de langue> P> us libre, oùil le faudroit moins effre : &qucic m’elchauffe par l’op
te- quelle htilitd. pofitiondu refipeét. Il peuteftre aufli, que ic me laifle aller apres ma
nature à faute d’art. Prefentant aux Grands cette mefme licence de
langue, 6c de contenance que i’apporte de ma maifon ; le fens com
bien elle décline vers l’indifcrecion Scinciuilité; Maisoutrcceque
ic fuis ainfi fait, ic n’ay pas l’efpnt affez louple pour gauchir a vne
prompte demande, 6c pour en efehapper par cjuclquc deftour: ny
pour feindre vne venté, ny affez de mémoire pour la retenir ainfi
feinte : ny certes affez d’afleurance pour la maintenir : 6c fais le braue
par foibleffe. Parquoy ic m’abandonne a la naïfucté,&:à toufiours
dire ce que iepenfie,&: par complexion,& par deffein: laiffant à la
fortune d’en conduire l’cuenement. Ariftippus difoit le principal
erand femee aum- f rul cf> qn d cuittire de la Philolophie, citre ; qu’il parloir librement
yement. 6c ouucrtement à chacun. C’efl: vn outil de merueilleux feruice, que
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