Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE SECOND. 
fi vaine fubtilité qui ne m’empcfche : Aux ieux où l’çfprit a fît 
part, des échecs, des cartes, des dames, & autres : ie n’y comprens 
que les pins grofhers traids. L’apprchcnfion, ic l’ay lente <k em 
brouillée: mais ce quelle dent vne fois, elle le tient bien, &d’em- 
brafTe bien vniiierfellcmenc, effrontément & profondément, pour 
}c temps qu’elle le tient. l’ay la veuë longue , faine &c entière, 
mais qui fe laffe aifemenc au trauail, & fe charge : A cette occa- 
fion ie ne puis auoir long commerce auec les Liures, que par le 
moyen du feruice d’autruy. Le jeune Pline inffmira ceux qui ne 
l’ont effayé, combien ce retardement cft important a ceux qufs’a 
donnent a cette occupation. Il n’eff point ame fi chctiue & bru 
tale, en laquelle on ne voyc reluire quelque faculté particulière: 
il n’y en a point de fi enfeuelie , qui ne face vue faillie par qucl- 
quebout. Et comment il aduienne qu’vne ame aucugle & endormie à 
toutes autres choies, fe trouue viue, claire, & excellente, a certain par 
ticulier effet, il s’en faut enquérir aux mailfres : Mais les belles araes, 
ce font les âmes vniuerfelles, ouuertes & preftes a tout : fi nonin 
fimités , au moins inft ruifibles. Ce que ie dis pour accufer la mienne: 
Carfoit par foibleffe ou nonchalance (& de mettre à nonchaloir ce 
qui effc à nos pieds, ce que nous auons entre-mains * ce qui regarde de. 
plus près l’vfage delà vie ; c’eft chofc bien efloignée de mon dogme ) 
il n’en cft pointvne h inepte & fi ignorante que la mienne, de pla 
ceurs telles chofes vulgaires, & qui ne fe peuuent fans honte ignorer. 
Il faut que i’en conte quelques exemples : le fuis né & nourry aux 
champs, & parmy le labourage : i’ay des affaires, & du mefnage en 
main, depuis que ceux qui me deuancoient en la poffelhon des biens 
queie iouys, m’ont quitté leur place. Or ie ne fçay compter ny à get, 
ny à plume : la plufpart de nos monnoyes ie ne les cognois pas : ny 
ne fqay la différence d’vn grain a l’autre, ny en la terre, ny au gre 
nier , fi elle n’eff par trop apparente : ny à peiné celle d’entre les choux 
k les laiduës de mon iatdin. le n’entends pas feulement les noms 
des premiers outils du mefnage, ny les plus greffiers principes de l'a 
griculture , & que les enfans fçauent. Moins aux arts mechaniques,au 
trafic,& en la cognoifTancc des marchandifès , diucrfité & nature 
defruids , de vins,de viandes :nyadrefter vnoifeau, ny à mede- 
cincr vn cheual, ou vn chien. Et puis qu’il me faut faire la honte tou 
te entière, il n’y a pas vn mois qu’on me furprint, ignorant dequoy 
hleuain feruoit a faire du.pain ; tk que c’eff oit que faire cuucr du vin. 
Oncomedura anciennement a Athen.es vne ap titude à la Mathéma 
tique, en ccluy a qui on voyoït ingenieufement agencer &: fagotter 
vne charge de broffailles. Vrayement on tireroit de moy vne bien 
contraire conclufio : car qu’on me donne tout l’appreff d’vue cuifinc, 
me voila à la faim. Par ces traits de ma confcflion, on en peut imagi 
ner d’autres à mes dcfpens : Mais quel que ie me face cognoiftrc, 
pourueu queie me face cognoiftre tel que le fuis, ie fais mon effed. 
Sf 
Son apprehenfion. 
Sa ~ycuh 
Mmes les plus che* 
tûtes douées de cjuel- 
cjue faculté particu~ 
itéré. 
„4mes belles & 
ItniMcrfcües. 
aptitude rt la Ma* 
themattcjue , coûte- 
clurée à Athènes.
	        
Waiting...

Note to user

Dear user,

In response to current developments in the web technology used by the Goobi viewer, the software no longer supports your browser.

Please use one of the following browsers to display this page correctly.

Thank you.