Full text: Les essais de Michel, Seigneur de Montaigne

LIVRE SECOND. 4pi 
inaisi’ay aucunement elludié, pour ce que iel’auois fait : lic’cll au 
cunement cftudicr , qu’effleurer & pincer, par la telle, ou par les 
pieds,tantoftvn Autheur,tantoll vn autre : Nullement pour for 
mer mes opinions : ouy, pour les afflller, picça formées, féconder ôc 
feruir. Mais à qui croirons-nons parlant de foy, en vne faifonlîga- 
ftée ?veu qu’il en ell peu, ou point, à qui nous puifflons croire par- 
lansd’autruy, où il y a moins d’intercllsà mentir. Le premier trai£t 
de la corruption des mœurs, c’ell le bannilfement de la vérité : car vérité bannie,pre- 
comme difoitPindare, l'ellrc véritable, cille commencement d’vne mtertraittde lacor- 
mande vertu, &lc premier article que Platon demande au gouuer- ruptionde mœurs. 
lieur de fa République. Nollre vérité de maintenant, ce n’eft pas ce 
qui ell, mais ce qui leperluade à autruyxomme nous appelions mon- 
jioye, non celle qui cft loyale leulcraent, mais la faulTeaulIi,quia 
mife. Nollre nation ell delong-temps reprochée de ce vice : Car Sal- 
uiarjusMaffilienlîs, qui eftoit du temps de l’Empereur Valentinian, 
dit, qu’aux François le mentir fepariurern’cll pas vice, mais vne Menterie reprochée 
façon de parler. Qui voudroit enchérir lur ce tefmoignage , il pour- aux François de long 
roic dire que ce leur ell à prefent vertu. On s’y forme, on s'y façonne, tem P Si 
comme à vn exercice d’honneur : car la dilïimulation ell des plus no 
tables qualitez de ce liccle, Amfi i’ay fouuent confideré d’oû pouuoic 
naiftre cette couftume , que nous obferuons li rchgicufement ; de 
nousfentir plus aigrement ofrenfez du reproche de ce vice, qui nous 
eftlî ordinaire,que de nul autre : de que ce foit l’extreme iniurc qu’on 
nous puilfe faire de parole, que de nous reprocher la menfonge. Sur Menfàn?e npro- 
celaietrouue qu’il ell naturel, de fe défendre le plus, des defauts de dée, pomjmynvM 
quoy nous fornmes les plus entachez. Il fcmble qu’en nous reffen- °Jf en f e Ÿj m ai £ re ~ 
tans de l’accufation & nous en elmouuans, nous nous delchargeons mm ^ aut>e lu ’ 
aucunement de lacoulpe i II nous Panons par effedt, au moins nous la 
condamnons par apparence. Seroitœc pas auffi , que ce reproche 
femblcenueloppcrîacoiiardife&dafcheté de cœur? En ell-il de plus 
expreffe, que fe defdire de fa parole ? quoy fe defdire de fa propre 
fcience? C’cll vn vilain vice, que le mentir; &qu’vn ancien peint 
lionteufement, quand il dit, que c’ell donner tefmoignage de mef- ^ sentir tefmd- 
prifer Dieu ,& quand & quand de craindre les hommes. Il n’ellpas o-nao-e du’mejpm de 
polhbled’en reprefenter plus richement l’horreur, la vilité &c ledef- ^DU-u^&de la crain* 
reglement: Car quepeut-on imaginer plus vilain, que d’ellre eoiiard deshotomes t 
àl’endroit des hommes,&brauç à l’endroit dcDieu? Nollre intel 
ligence fe conduifant par la feule yoy c de la parole, celuy qui la fauf- 
fe, trahit la focic té publique. C’ell le fcul outil, par le moyen duquel 
Iccommuniquent nos volonté? & nos penlécs: c’ell le truchement 
de nollre ame : s’il nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous parole,truchement 
cntrecognoilfons plus. S’il nous trompe, il rompt tout nollre corn- de nàftéeamh 
nietce,&dilTout toutes les liaifons de nollre police. Certainesna- 
nons des nouuellcs Indes ( on n’a que faire d’en remarquer les 
noms, ils ne font plus: car iniques à l’entier abolilfcmenc des noms.
	        
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