EDMOND ET JULES DE GONCOUR'i 143
brunâtre des autres et qui prend sa couleur char
mante et son incarnat de vie à l’habileté des opposi
tions du gris et du noir...i Ils savent, du reste,
d’où elle vient, cette incomparable sanguine : «Je
la croirais cette sanguine d'Angleterre dont les
manuels technologiques vantent la supériorité, et
dont une boîte se vendait comme une rareté à la
vente du peintre Venenault... » Voilà des remarques
qui attestent une entente pénétrante et quotidienne
du métier, une fréquentation, non pas superficielle,
mais profonde et de toutes les heures, avec l’objet
d’art; et, de fait, à défaut d'un travail de création,
les frères de Goncourt se sont établis collection
neurs. Le mot n’est que juste. Dans les deux vo
lumes intitulés la Maison d’un artiste, nous pou
vons constater avec quel amour ils ont ramassé les
dessins et les eaux-fortes, les bronzes et les porce
laines, les meubles et les tapisseries, jusqu'aux fou-
kousas et aux kakémonos du Japon. Ils ont vécu
dans un musée sans cesse agrandi, et ils en ont
vécu. De cette familiarité ininterrompue avec ces
choses rares et suggestives, ils ont tiré une façon
spéciale de voir, qui s’est insinuée de proche en
proche jusqu’au plus intime de leur talent; et pour
bien comprendre ce talent, c’est cette subtile in
fluence qu’il est nécessaire de démêler d’abord et
d’expliquer.
Il y a pour l’œuvre d’art deux manières très
diverses d'agir sur l’homme et comme deux condi
tions d'existence Imaginez qu’un tableau d'un
peintre pieux, une Ascension du Pérugin, soit ap-