EDMOND ET JULES DE GONCOURT 147
situdes de l’ennui et les maladies de la sensibilité
nerveuse ont conduit l’homme à s'inventer des pas
sions factices de collectionneur, tandis que sa com
plication intime le rendait incapable de supporter
la large et saine simplicité des choses autour de
lui ! A son regard blasé il faut du joli, du menu,
de la bizarrerie. Les formes imprévues de l’art
japonais flattent ses yeux, qu’une éducation trop
contrastée a rendus pareils, dans un ordre différent,
à un palais de gourmand dégoûté. Et, de proche
en proche, ce goût singulier du bibelot gagne même
ceux que l’œuvre d’art laisse indifférents et qui ne
possèdent pas la lortune nécessaire à une acquisi
tion de quelque valeur. La contrefaçon et le bon
marché s’emparent de cette passion générale, pour
l’exploiter. Aux devantures des grands magasins
de nouveautés, qui forment comme le colossal ré
sumé des habitudes d’un peuple, puisqu’ils offrent
une réponse anticipée à tous ses désirs, que rencon
trez-vous? Le bibelot encore, et encore le bibelot
dans les brasseries d’étudiants où le fils du bour
geois de province accoude sa flânerie sur une table
de style, devant un verre de façon ancienne, sous
une lumière tamisée par des vitraux coloriés. Le
bibelot, — vous le rencontrez dans le salon du
médecin où vous attendez votre tour, comme dans
la boutique du papetier où vous commandez vos
cartes de visite, comme chez l’ami auquel vous
re dez visite en passant. C'est une mode, et qui s’en
ira comme une autre; mais l’analyste de notre so
ciété contemporaine ne peut pas plus la négliger