EDMOND ET JULES DE GONCOURT
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bleu de ciel, assises sur des tertres dans de la ver
dure blonde!...® C’est ici l’impression suprême,
presque morbide, à laquelle se rattachent des jouis
sances et des douleurs connues des seuls initiés.
Cette éducation du regard aboutit bientôt à une
sorte d’analyse particulière. Même pour les per
sonnes douées d’un sens artistique médiocre, la face
d’une chambre, la forme d’un objet, sa couleur, sont
des prétextes à sympathie ou bien à antipathie.
Les hommes qui savent regarder comprennent les
causes profondes de cette sympathie ou de cette
antipathie. Les objets leur apparaissent comme des
signes d'une infinité de petits faits. Derrière un mo
bilier, ils aperçoivent la main de celui qui l’a dis
posé, son tempérament, sa physionomie. Les plis
d’un vêtement leur révèlent les secrètes particula
rités et la physiologie d’un corps. Ils ont des asso
ciations d’idées interminables à propos de chaque
objet rencontré, manié, contemplé. «Un temps dont
on n’a pas un échantillon de robe,» ont dit les
Goncourt, «l’histoire ne le voit pas vivre...» Et
ailleurs : «La misère a des gestes, le corps même
à la longue prend des habitudes de pauvre...»
C’est une analyse externe, très différente de l’ana
lyse interne, propre aux esprits repliés et retournés
sur eux-mêmes. Ces derniers arrivent, à force de
réflexion personnelle, à une entente savante de leur
propre caractère, et, par suite, quand ils se sont
comparés, des autres caractères. Les analystes qui
procèdent par le dehors saisissent merveilleusement
les mœurs, l’allée et la venue, le pas et le port de