Full text: Essais de psychologie contemporaine (2)

EDMOND ET JULES DE GONCOURT *51 
d’elles comme des ailes de nuit C'était (Tune vo 
lupté étrange, mystérieuse, silencieuse, ce doux me 
nuet de mortes et d'âmes masquées se nouant et se 
dénouant dans un rayon de lune...t Pour imposer 
à la langue française des effets de cette .qualité-là, 
il faut un affinement des sens avoisinant la mala 
die. Mais les Goncourt l’ont dit eux-mêmes : * Pour 
les délicatesses, les mélancolies exquises d’une 
œuvre, les fantaisies rares et délicieuses sur la 
corde vibrante de l’âme et du cœur, ne faut-il pas 
un coin maladif dans l’artiste?» 
Et la maladie saisit les deux romanciers, — une 
étrange maladie que celle-là, faite d’une hyper 
acuité des sensations : «Je m’aperçois,» est-il dit 
dans Idées et Sensations, s que la littérature, l’obser 
vation, au lieu d’émousser en moi la sensibilité, l’a 
étendue, raffinée, développée, mise à nu... On de 
vient, à force de s’étudier, au lieu de s’endurcir, 
une sorte d’écorché moral et sensitif, blessé à la 
moindre impression, sans défense, sans enveloppe, 
tout saignant...» C’est que l’homme, en multipliant 
à l’infini ses émotions d’art, exagère à l’extrême la 
délicatesse de son système nerveux. Il finit par 
transporter cette excitabilité de sa nature esthé 
tique dans les rencontres quotidiennes de l’exis 
tence. Il a ramassé et comme condensé toute sa vie 
dans des émotions d’art; elles ne lui permettent 
plus la libre et facile jouissance, et plus simple 
ment encore l’indifférence recommandée par le sage 
qui disait : œ II faut glisser la vie et non l’ap 
puyer...» Ajoutez à cette cause permanente de des-
	        
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