H EN RI-FRÉDÉRIC AMIEL
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rieure, le Parisien y excelle. Mais agir par lui-même,
s’associer, entreprendre, tenir tête au despotisme de
l’Etat sur le terrain du droit privé, à la manière des
Anglo-Saxons, ne lui demandez pas cela. Nul n’a marqué
ce défaut d’un trait plus net que Maxime Du Camp, nul
n’en a plus fortement montré les funestes conséquences.
Il a établi par des chiffres indiscutables que ce Parisien
si mal outillé pour l’initiative politique est envahi, envi
ronné, noyé par une énorme immigration venue du
dehors, si bien que la conscience de la grande ville en est
sans cesse faussée. Déjà Napoléon reconnaissait ce fait
singulier, et des statistiques, dressées par ses ordres, ré
vélaient que dans la population criminelle de Paris, en
1810, le vrai Parisien comptait pour une proportion
d’un sur trois. Pendant les journées de Juin 48, la pro
portion s’abaisse encore. On ne trouvait que cinq Pari
siens sur cent insurgés. Sur trente-six mille trois cent
quatre-vingt-dix-neuf individus qui passèrent devant les
Conseils de guerre après la Commune, vingt-sept mille
trois cent quatre-vingt-dix étaient des provinciaux ou des
étrangers. Maxime Du Camp a résumé d’un mot saisis
sant l’anomalie nationale que de pareils chiffres repré
sentent : — « L’Angleterre, » a-t-il dit, « va aux Indes,
l’Allemagne va en Amérique. Za France émigre à Parts. »
Ainsi s’expliquent, lorsque cet afflux d’éléments adven
tices est devenu trop fort, ces perturbations auxquelles
le vrai Parisien assiste souvent avec désespoir, car c’est
la ruine momentanée; contre lesquelles il ne lutte point,
par manque d’initiative; dont il répare les misères à
force de travail, et qu’il finit par considérer un peu
comme les gens de la banlieue de Naples considèrent le
Vésuve. C’est une cendre qui brûle et qui bouge. Us y
bâtissent tout de même leur maison, et, surtout, ils y
plantent leur vigne. Cet héroïsme gai dont un autre