8o ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE
d’outre-Manche ont faite à Tennyson. Mais l’es
prit français, qui subit en cela l’inévitable rançon
de ses qualités, n’arrive guère à la sensation de la
vraie poésie, à moins d’y être entraîné par des rai
sons étrangères à l’essence même du principe poé
tique. Si Hugo et Lamartine furent populaires dès
leur début, c’est que le caractère religieux de leur
première inspiration correspondait bien au néo-ca
tholicisme d’alors. Si Alfred de Musset, malgré
son indifférence politique, se trouve avoir conquis
une telle vogue, c’est que le poète chez lui se double
d’un orateur; son éloquence a sauvé sa poésie.
M. Leconte de Lisle, lui, a composé une œuvre où
la poésie n’est mélangée d’aucun alliage, et qui ne
saurait être comprise et sentie que par les lecteurs
qui aiment la Beauté pour la Beauté. Aussi n’a-t-il
pas rencontré, parmi la foule, l’accueil qu’elle ré
serve à ses favoris. La disproportion est forte entre
le rang qu’il occupe devant le public et la place que
lui décernent les artistes. Son influence, pour être
ainsi restreinte, n’en est pas moins profonde, car
elle se retrouve, présente et durable, chez presque
tous les poètes de notre époque. Indirectement elle
s’étend jusqu’à ceux qui ne la subissent qu’à travers
un ou deux d’entre ces poètes. Celui qui étudie dans
les écrivains de la génération précédente les origines
de quelques-unes des tendances et des idées de la
génération actuelle doit donc se préoccuper de
M. Leconte de Lisle comme de Charles Baudelaire
et de Gustave Flaubert, et l’auteur de Qaïn et des
Erùwyes a son rang marqué dans la série de ces