M. LECONTE DE LiSLE
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ture qui inquiétait déjà les romantiques. Par quels
procédés en effet secouer le joug de la tradition, si
pesant sur l’esprit de ceux qui arrivent tard dans
une civilisation épuisée de littérature? André Ché
nier répondait par son conseil célèbre :
Sur des penser® nouveaux faisons des vers antiques.
Il plaçait donc essentiellement le Moderne
dans le choix des sujets. Stendhal, lui, donnait un
conseil contraire, car, avec une inintelligence tout à
fait indigne de son rare esprit, il proscrivait les
anciennes formes et n’hésitait pas à condamner
d’une façon absolue la langue des vers. De nos
jours, les écrivains naturalistes qui se sont plus par
ticulièrement attachés à ce problème du Moderne le
résolvent par la théorie de la nouveauté dans le
fond et dans la forme. « Copiez ce que vous voyez,
comme vous le voyez,® disent les peintres qui veu
lent amener leurs élèves à faire ce que l’on appelle
dans les ateliers de la peinture sincère. Pourquoi le
littérateur n’agirait-il pas de même? La vie ondoie
autour de lui, opulente et changeante. S’il est à
Paris, il a sous les yeux le décor des rues, des ma
gasins, des salons, la cohue des intérêts rivaux, la
mêlée des passions, une masse énorme d'hommes et
de femme qui vont et qui viennent, tous marqués
au sceau des mœurs de l’époque. Qu’il reproduise
sur le papier, et par le moyen de mots adaptés, ces
mœurs et ce décor, consciencieusement, exactement,
n’aura-t-il pas exécuté le programme d’un art tout
contemporain, par suite aussi vivant qu’original?